Permis de construire : l’omission ne vaut pas fraude en l’absence d’élément intentionnel

Par Arnaud Barthélémy

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Si la fraude est un moyen susceptible d’emporter l’annulation d’un permis de construire même au-delà du délai de recours contentieux, encore faut-il qu’une telle manœuvre soit établie, ce qui implique la preuve d’un élément matériel et d’un élément intentionnel. Tel est du moins ce que rappelle en substance cette décision rendue le 18 mars 2015 par les 9e et 10e sous-sections du Conseil d’État.

En l’espèce, le maire de la commune d’Eygalières avait délivré un permis autorisant la construction d’une maison d’habitation située dans le champ de visibilité d’une petite église romane du xiie siècle, la chapelle Saint-Sixte, inscrite à l’inventaire des Monuments historiques. Une association de défense de l’environnement, la Ligue de défense des Alpilles, demanda toutefois au maire de la commune le retrait de ce permis de construire qui, selon elle, avait été obtenu par fraude. Lorsqu’une demande de permis porte sur des constructions situées dans le champ de visibilité d’un édifice classé, l’article R. 421-38-4 du Code de l’urbanisme, alors applicable au litige, exigeait en effet l’accord de l’Architecte des Bâtiments de France. Or, l’association soutenait que la commune avait simulé l’avis réputé favorable de ce dernier visé dans l’arrêté du maire délivrant le permis de construire. Les services de la commune auraient ainsi délivré par fraude ledit permis. Le maire ayant toutefois refusé de satisfaire la demande de la Ligue de défense des Alpilles, cette association saisit alors le juge administratif afin d’obtenir l’annulation de ce permis.

Jugeant que le permis de construire en litige avait effectivement été obtenu par suite de manœuvres frauduleuses, le Tribunal administratif de Marseille déclara celui-ci nul et non avenu. Pour autant, la commune et le titulaire du permis interjetèrent appel et obtinrent l’annulation du jugement rendu en premier ressort. La Ligue de défense des Alpilles forma alors un pourvoi devant la haute juridiction administrative. Celle-ci soutenait en effet que le juge administratif avait commis plusieurs erreurs de droit, d’une part, en écartant l’existence d’une fraude, et, d’autre part, en jugeant que l’illégalité résultant de la violation de l’article R. 421-38-4 du Code de l’urbanisme n’était pas de nature à rendre le permis de construire juridiquement inexistant.

Le Conseil d’État rejeta cependant l’ensemble des moyens de cassation soulevés par la Ligue de défense des Alpilles. La haute juridiction administrative considéra effectivement que le juge administratif d’appel n’avait pas commis d’erreur de droit en recherchant la preuve d’éléments, non seulement matériels, mais aussi intentionnels, susceptibles d’établir l’existence d’une fraude. Celui-ci s’était en outre fondé sur un faisceau d’indices, dont notamment une plainte pour faux et usage de faux classée sans suite, pour admettre l’absence de tout élément intentionnel imputable aux services instructeurs de la commune. La preuve de la fraude relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond, le Conseil d’État ne pouvait dès lors que confirmer l’arrêt d’appel. Par ailleurs, la haute juridiction administrative estima également que l’absence de saisine de l’architecte des bâtiments de France, pour grave qu’elle soit au regard de la légalité de l’acte contesté, n’était pas de nature à rendre celui-ci juridiquement inexistant. Contrairement à la fraude, l’omission ne rend pas l’acte nul et non avenu mais illégal.

Cette décision du Conseil d’État est ainsi l’occasion de rappeler les conditions dans le cadre desquelles un demandeur est susceptible de rapporter la preuve d’un permis de construire obtenu par fraude. Si un tel moyen est notamment susceptible de permettre aux tiers d’agir contre un permis de construire au-delà du délai de recours contentieux, il reste effectivement essentiel d’établir rigoureusement la preuve de pareilles manœuvres.

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