À propos du champ d'application territorial du principe de l'urbanisation limitée

Par Patrick Hocreitère

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En vertu de l’article L. 122-2 du Code de l’urbanisme, dans les communes non couvertes par un schéma de cohérence territoriale (SCOT) applicable, sauf dérogation, ne peuvent être ouvertes à l’urbanisation les zones à urbaniser des plans locaux d’urbanisme (PLU) délimitées après le 1er juillet 2002, les zones naturelles, agricoles ou forestières délimitées par un PLU ou un document d’urbanisme en tenant lieu et notamment un plan d’occupation des sols (POS), les secteurs non constructibles des cartes communales. En outre, ne peuvent être délivrées d’autorisations d’exploitation commerciale ou cinématographique. Ce principe de l’urbanisation limitée, intitulé comme tel par M. Patrick Rimbert, rapporteur du projet de loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) à l’Assemblée nationale (AN, 1re lecture, p. 71), constituait l’une des innovations majeures de la loi. Il avait pour objectif, selon ce dernier, de « limiter l’étalement urbain dispersé et d’éviter que ne se multiplient les zones de mitage » ainsi que, selon le ministre chargé de l’Urbanisme, « de favoriser l’élaboration de schémas de cohérence territoriale » (JOAN, 9 mars 2000, p. 1802).

Retour sur le passé : un champ d’application largement débattu mais limité

Telles étaient les intentions originelles du législateur. Il n’était nullement question que ce principe soit applicable à l’ensemble du territoire national ni que les SCOT couvrent l’ensemble de ce territoire.

En étaient d’ailleurs exclues, comme aujourd’hui, les communes couvertes par un schéma d’aménagement régional : Île-de-France, Corse et outre-mer, ce schéma valant SCOT au sens de l’article L.122-2. Il ne concernait, en outre, que les communes situées dans une bande de quinze kilomètres autour des agglomérations – ou plus précisément des « unités urbaines » au sens de l’INSEE – de plus de 15 000 habitants ou du rivage de la mer.

Le champ d’application territorial de ce principe a tout de suite fait débat. Selon le ministre chargé de l’Urbanisme lors de l’examen du projet de loi SRU, il ne devait concerner qu’un tiers du territoire national (JOAN, 9 mars 2000, p. 1803).

Selon M. Jean Proriol, rapporteur de la future loi Urbanisme et habitat du 2 juillet 2003, son champ d’application conduisait à des chiffres bien différents : « La règle actuelle des quinze kilomètres concernait 21 397 communes, soit près de 41 millions d’habitants. Si l’on relève le seuil, de façon à ne viser que les communes situées à moins de quinze kilomètres d’une agglomération de plus de 50 000 habitants, ce ne sont plus que 13 824 communes qui sont concernées, soit une diminution d’environ un tiers » (JOAN, 28 janv. 2003, p. 609).

Un champ d’application progressivement élargi à l’ensemble du territoire national

La loi Grenelle II du 12 juillet 2010 a été l’occasion de revisiter ce champ d’application. Après être revenue au fait que ce principe est depuis le 1er janvier 2013 à nouveau applicable dans les communes situées à moins de quinze kilomètres de la périphérie d’une agglomération de plus de 15 000 habitants, la loi prévoit qu’à compter du 1er janvier 2017, il s’appliquera dans toutes les communes non couvertes par un SCOT applicable.

Ainsi, dans deux ans à peine, ce principe s’appliquera à l’ensemble du territoire national, à l’exclusion des communes franciliennes, corses et d’outre-mer, à moins que d’ici là, l’ensemble de ce territoire soit couvert par des SCOT, comme en ont l’ambition les auteurs des lois Grenelle et de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un à un urbanisme rénové, dite « loi ALUR ».

Rappelons toutefois que seul aujourd’hui 20 % du territoire national est couvert par des SCOT opposables, que ces SCOT doivent pour la plupart être « grenellisés », également avant la date du 1er janvier 2017, qu’il faut au minimum six à sept ans pour élaborer un SCOT, que l’ingénierie tant publique que privée en matière d’urbanisme et d’aménagement n’est pas extensible, qu’elle est même en voie de régression dans la sphère publique (voir Pour une nouvelle architecture territoriale de l'ingénierie en matière d'urbanisme, rapport d’information n° 654 de M. le sénateur Pierre Jarlier), au même titre que les moyens financiers des collectivités locales.

Une conception extensive du calcul de la règle des quinze kilomètres

Au-delà de l’extension progressive du principe de l’urbanisation limitée à l’ensemble du territoire national, c’est aussi à une conception extensive du calcul de la règle des quinze kilomètres applicable aux communes situées à moins de quinze kilomètres de la périphérie d’une agglomération de plus de 15 000 habitants que l’on assiste.

Alors que cette règle avait pour vocation à s’appliquer dans la bande de quinze kilomètres à partir de la limite extérieure des agglomérations afin de limiter l’étalement urbain et le mitage des espaces dans cette bande (selon le ministre chargé de l’Urbanisme lors des débats de la loi SRU, « s’il devait être fait application de ces dispositions, le Gouvernement devrait naturellement se référer au texte adopté par le Parlement pour déterminer le point de départ de ces 15 km, à savoir les limites physiques de l’agglomération, qui peuvent, par définition, différer, parfois même de manière importante, avec les limites communales » (JOAN, 21 nov. 2000, p. 9165 ; idem, Rép. min., JO Sénat, 28 août 2003, p. 2678), la loi ALUR, sous prétexte de clarification, modifie l’article L. 122-2 en précisant que ce principe n’est pas applicable « dans les communes situées à plus de quinze kilomètres de la limite extérieure d'une unité urbaine de plus de 15 000 habitants ». Ce qui signifie a contrario qu’il est applicable à l’ensemble des communes situées au sein de cette limite.

Certes, le Conseil d’État avait statué dans le même sens avant cette modification de la loi ALUR. Mais là n’est pas une raison.

En effet, par un arrêt en date du 26 mars 2014, Commune de Saumane-de-Vancluse, n° 369007 (voir L. Santoni, « Le principe d’urbanisation limitée en l’absence de SCOT, avant et après la loi ALUR », Constr.-Urb., n° 6 juin 2014, comm. 79), il avait considéré que ce principe est applicable tant dans les communes situées en tout ou partie dans la bande de quinze kilomètres par rapport à la périphérie de l’agglomération que dans celles situées à l'intérieur même de l’agglomération.

Pourquoi une telle décision ? C’est, selon nous, parce qu’ont été perdues de vue les intentions originelles du législateur, la mémoire des choses. C’est aussi parce que la lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols non sujette à critiques ou même discussion conduisent à la déraison.

Une telle extension géographique du principe de l’urbanisation limitée constitue une parfaite illustration de la vision jacobine de la décentralisation de l’urbanisme.

Elle constitue une contrainte supplémentaire à prendre en considération par les collectivités locales lors de la gestion de leur document d’urbanisme : révision, modification, mise en compatibilité avec une déclaration de projet ou une déclaration d’utilité publique.

Sans parler des risques juridiques que représente cette extension, en cas d’ignorance ou d’oubli, aussi bien pour les décisions à venir que pour les décisions passées qui pourraient être remises en cause par la voie de l’exception d’illégalité.

Sources :