Thibault Quéré : « Les collectivités peuvent faire appel aux associations pour réfléchir à un système vélo »

Les pistes cyclables fleurissent dans les villes françaises. Parfois réalisées dans l’urgence, elles répondent à un besoin grandissant de l’usage du vélo. De quels outils disposent les collectivités pour mener une réflexion urbaine sur ces aménagements ? Thibault Quéré, responsable du plaidoyer pour la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), dont l’action vise à promouvoir la vision du vélo dans les politiques publiques, donne des éléments de réponse.

Propos recueillis par Éléonore Bohn

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La FUB réalise actuellement son troisième Baromètre sur les villes cyclables en France. Quel est l'objectif de cette action ? 

Il s’agit d’une action qui a lieu tous les deux ans. Elle s’effectue en consultation directe de la population. Le Baromètre des villes cyclables a pour objectif de faire un état des lieux de tout le système vélo. Cela implique la sécurité aux intersections, la communication de la collectivité en faveur du vélo, mais aussi la lutte contre les vols, ainsi que la quantité et le confort des aménagements cyclables ou encore la présence ou non de services de réparation vélo. Pour cela, toute personne, qu’elle utilise son vélo au quotidien ou non, répond à un questionnaire en ligne et peut indiquer, via un outil cartographique, les endroits où il est difficile de circuler à vélo. L’objectif de la Fédération des usagers de la bicyclette est de parler « vélo » dans toutes les communes de France. Les collectivités peuvent tout à fait promouvoir cet outil, comme l’ont déjà fait par exemple Lyon et Nantes Métropole. Plus il y a de répondants, mieux il est possible de comprendre la qualité des déplacements à vélo, ainsi que les besoins de ceux qui veulent s’y mettre. Ce Baromètre constitue un outil de base dans la discussion fructueuse entre élus, techniciens, associations et bureaux d’études pour faire passer les collectivités du discours à l’action.

L'urbanisme tactique vise à instaurer rapidement des aménagements cyclables, quel regard portez-vous dessus ? 

L’urbanisme tactique est un concept un peu plus riche que juste la construction de bandes cyclables ou de pistes cyclables séparées de la chaussée. Il permet de transformer l’espace public rapidement à l’aide d’aménagements souvent assez peu coûteux et plutôt faciles d’installation. C’est le cas de ces nombreuses rues par exemple qui ont été piétonnisées ou redonnées aux enfants et aux parents au travers du concept des « rues aux écoles ».

Tout cela s’effectue dans une logique d’urbanisme de la ville à vivre, qui favorise in fine les mobilités actives et l’usage du vélo. Les aménagements cyclables qui résultent d’un urbanisme tactique peuvent accélérer des schémas directeurs qui avaient déjà été votés, mais n’avaient pas encore été mis en place. C’est également un moyen d’expérimenter et de tester. Nous pensons à la FUB que cette méthode d’urbanisme est intéressante. Surtout si cela est réalisé dans une optique de test et d’amélioration.

Maintenant, l’enjeu est de pérenniser des aménagements et de les ancrer dans le long terme. L’urbanisme tactique permet de changer les choses et les pratiques des gens, mais pour que ce changement s’opère dans la longueur il faut une cohérence globale. En tant que fédération, nous interpellons régulièrement l’État pour qu’il accompagne davantage les collectivités. Il existe les fonds mobilités actives et des outils pour aménager ces espaces car au bout du compte, il faut établir un plan et un schéma directeur avec des aménagements complets. Celui-ci doit comprendre la sécurisation des pistes cyclables, le confort de la pratique pour tous types de vélos, la signalétique et le stationnement. Par exemple, on remarque sur le Baromètre qu’il existe beaucoup de pistes cyclables qui se stoppent net et que matérialisent les « points noirs ». On constate qu’il y a parfois la volonté politique, mais pas forcément l’ingénierie qui l’accompagne. Et sur l’étude du Baromètre, notre fédération et ses associations membres sont en capacité de former à l’analyse des résultats pour comprendre les besoins des usagers et participer aux réflexions engagées par les bureaux d’études qui élaborent des schémas directeurs.

Selon vous, qu'est-ce qui peut être un frein au développement du vélo dans les villes ? 

Aujourd’hui, nous pensons que la phase de prise de conscience des enjeux du vélo est passée et acceptée. Ce n’est pas vrai partout, sur tous les territoires, où des résistances fortes existent encore, mais il y a une plus large acceptation politique et sociétale qu’il y a 5 ans et c’est bien.

Créer un système vélo nécessite de travailler sur les besoins des usagers. Et c’est là que la collectivité joue ce grand rôle de coordinateur à l’échelle de son territoire. Mais parfois ce qui pèche, c’est le financement. Dans beaucoup de collectivités, souvent de plus petites tailles, le manque d’ingénierie est marquant et les collectivités manquent de moyens pour investir. Cela relève parfois de choix politiques, avec le maintien d’un fort investissement dans le système voiture, ce qui empêche de libérer des ressources pour les transports en commun ou les mobilités actives.

Le rôle de l’État est alors très important : fixer les objectifs collectifs, faire appliquer la loi et accompagner par des moyens. C’est pour cela que nous avons un plaidoyer assez fort pour mobiliser le fonds mobilités actives. Les collectivités doivent faire le travail de consultation des associations qui peuvent les aider à monter en compétences sur certains sujets et travailler ensemble.

Et chaque situation est différente selon les contraintes des territoires. Si on prend le cas de villes de type médiéval, elles disposent d’un espace idéal pour laisser la place aux piétons. Des aménagements cyclables « durs » en cœur de ville ne sont donc pas tout le temps la panacée : il faut parfois davantage réfléchir à l’apaisement de l’espace et aux solutions de stationnement en bordure de centre-ville. Et réfléchir aux grosses masses des déplacements qui se logent bien souvent dans les quartiers périphériques au centre et où nous regrettons qu’il n’existe pas d’alternative crédible à la voiture.

Enfin, il faut travailler à une échelle de bassins de mobilité plus larges, ce qui suppose un énorme travail de négociation et de coordination à réaliser avec les schémas nationaux, régionaux, départementaux et communaux. L’objectif est d’obtenir une vraie cohérence des déplacements et des solutions sécurisées et confortables de bout à bout. Nous nous intéressons par exemple à ce qui se passe à Lyon, où un nouveau plan vélo vient d’être dévoilé et qui semble prendre en compte en partie cet aspect.